lundi 17 mai 2010

MEMORANDUM DES ORGANISATIONS DE LA SOCIETE CIVILE DE L’AFRIQUE DE L’OUEST SUR L’APE UE/AO A LA SUITE DU COMITE MINISTERIEL DE SUIVI DE BAMAKO DU 3 AU 7 MAI 2010


  1. Nous, organisations de la société civile de l’Afrique de l’Ouest composées de :
ð  la Plateforme des organisations de la société civile de l’Afrique de l’Ouest sur l’Accord de Cotonou (POSCAO-AC) ;
ð   du Réseau des Plateformes d’ONG de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (REPAOC),
ð   du Forum des Organisations de la Société Civile de l’Afrique de l’Ouest (FOSCAO),
ð   du Réseau des organisations paysannes et de producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA),
ð   de la Coalition des Organisations Africaines pour la Sécurité Alimentaire et le Développement durable (COASAD),
ð  de la dynamique des Organisations de la Société civile d’Afrique Francophone (OSCAF),
ð  du Réseau des Journalistes Economiques d’Afrique de l’Ouest (RJEAO) et
ð  de Africa Trade Network (ATN),

réunis à Bamako les 8 et 9 mai 2010, à la suite de la réunion du Comité Ministériel de Suivi de l’APE (CMS), à laquelle nous avons pris part, produisons la présente Déclaration qui analyse les résultats du CMS,  relit les positions de la région à la lumière des avancées dans les négociations et propose des démarches et de nouvelles stratégies pour les négociations à venir.

  1. Le comité Ministériel de Suivi de Bamako s’est tenu près d’un an après la dernière réunion des Ministres du 15 Mai 2009 à Abuja, au Nigeria. Lors de cette dernière, les Ministres avaient donné à la Commission de la CEDEAO un mandat politique clair sur une variété de domaines d’une importance capitale pour l’Afrique de l’Ouest, dont l’offre d’accès au marché, comprenant le taux d’ouverture du marché ouest africain à l’Union européenne et le rythme du démantèlement des droits de douane, le Programme de l’APE pour le développement (PAPED), le traitement des prélèvements communautaires, de la Clause NPF, de la Clause de non exécution, des règles d’origine et des services et autres questions liées au commerce.

  1. Depuis le CMS d’Abuja, les experts de la région ont travaillé d’arrache-pied pour traduire en acte la volonté exprimée par les Ministres, sur instruction des Chefs d’Etat, consistant à concevoir un accord réellement porteur de développement, tout en s’entourant de toutes les garanties pour que les objectifs de l’intégration régionale soient poursuivis et atteints au grand bénéfice des peuples de l’Afrique de l’Ouest. 

  1. Nous reconnaissons à sa juste valeur cet important travail, auquel nous avons  contribué avec un engagement et une vigilance jamais pris à défaut, et félicitons  le Comité régional de négociation pour les résultats obtenus à ce jour.

  1. Malgré ces acquis, nous exprimons nos vives préoccupations, d’une part sur certains choix opérés par la région qui se sont traduits, dans le domaine de l’accès au marché, par des positions de négociations très risquées, insuffisamment documentées et partagées avec les Etats, et d’autres part,  par les réponses creuses et ambigües apportées par l’Union européenne sur le PAPED, une question sur laquelle les Chefs d’Etat de la région ont montré tout leur attachement.  

Sur l’offre d’accès au marché

  1. L’Afrique de l’Ouest qui était sur  une offre de libéralisation de 66.4% avait accepté, en novembre 2009 à Abidjan, contre toute attente, d’actualiser celle-ci pour arriver à un taux de 70% en lignes tarifaires comme en volume.

  1. Nous avons déjà attiré l’attention de la région, à travers des correspondances adressées aux Autorités politiques de la CEDEAO, ainsi qu’aux Ministres de la région en charge des APE, sur l’inopportunité d’un tel « saut » qui, non seulement pourrait réduire l’espace politique nécessaire à l’Afrique de l’Ouest pour poursuivre l’élaboration de ses politiques sectorielles régionales, mais renforcerait aussi les déséquilibres structurelles de nos jeunes et fragiles économies, déséquilibres qui, au demeurant, ne peuvent être compensés par une aide financière quelconque.  

  1. Les analyses qui semblent démontrer le contraire, comme celle effectuée par la Commission de la CEDEAO au moyen d’un Modèle d’équilibre général calculable (MEGC), ne font qu’apporter une mauvaise réponse technico-statistique à un problème politique et économique mal formulé.

  1. En effet, affirmer que 70% d’offre de libéralisation est soutenable pour la région car la plupart des pays serait à un taux d’ouverture plus bas est une assertion statistiquement vraisemblable. Mais est-elle tout aussi vraie économiquement ?, surtout si l’on considère les paramètres dynamiques de nos économies actuellement faibles, mais avec un potentiel de croissance et de développement sans limite ? De plus, en partant du principe selon lequel le « tout » ne se réduit  pas à la « somme des parties » et de la réalité selon laquelle les intérêts économiques d’une région en construction ne coïncident pas forcément à ceux des Etats pris individuellement,  seule une analyse économique rigoureuse, effectuée avec un modèle spécifiquement centré sur les réalités dynamiques de la région et préalablement validé par les Etats, pourrait, de notre point de vue, permettre de tirer des conclusions pertinentes pouvant soutenir notre position de négociation.

  1. C’est pour toutes ces raisons que les organisations de la société civile saluent la sagesse de la décision des Ministres en charge des APE qui, à Bamako, se sont gardés de valider l’offre de 70% à ce stade des négociations, en demandant aux négociateurs de poursuivre les analyses et les simulations sur les impacts d’une telle offre, afin de leur  fournir des éléments techniques pouvant fonder des décisions et des choix clairvoyants et bénéfiques pour les Etats et la région tout à la fois.

  1. Nous les remercions et les encourageons à persévérer dans cette voie, en gardant toujours le regard rivé sur le principal objectif partagé, celui de l’intégration régionale effective, le bien-être des populations et le développement de l’Afrique de l’Ouest. Tout accord commercial signé, avec quel que partenaire que ce soit, qu’il soit bilatéral, régional ou multilatéral, ne doit concourir qu’à accélérer la marche de l’Afrique de l’Ouest vers ce futur radieux que les citoyens de la région souhaitent, veulent et peuvent construire, à savoir, la CEDEAO des peuples.

      

Sur le Programme de l’APE pour le développement (PAPED),

  1. Les plateformes d’organisations de la société civile appellent les autorités politiques de la CEDEAO  comme  des Etats membres à faire preuve de la même attention et de la même vigilance. Ce programme a été élaboré par l’Afrique de l’Ouest à travers une démarche largement inclusive pour donner corps à la volonté des Chef d’Etat de conclure un APE porteur de développement. Les projets identifiés ont fait l’objet d’une estimation financière initiale qui porte sur un montant de 9.5 Milliards d’euros sur cinq ans, compte non tenu de la compensation des pertes fiscales des Etats engendrées par la suppression des droits de douane. 

  1. Alors que la région attend  de l’Union européenne un engagement sincère, pris dans un protocole légal faisant partie intégrante de l’accord comme preuve de sa bonne foi, cette dernière en est encore à tergiverser et à spéculer en avançant qu’un montant de 6.5 Milliards serait disponible et mobilisable pour l’Afrique de l’Ouest.

  1. Nous attirons l’attention des négociateurs de la région sur le fait que cette stratégie européenne pourrait n’être qu’un leurre dans la mesure où l’analyse des réponses de la Commission européenne révèle que ces montants ne sont en réalité rien d’autres que le cumul de tous les fonds européens bilatéraux et régionaux destinés à la région et aux Etats d’Afrique de l’Ouest, ressources qui devraient leur être alloués à travers les canaux traditionnels de la coopération, avec ou sans APE.

  1. Dans cette logique, l’Union Européenne ne ferait  finalement que l’effort de « recycler » et de transférer des fonds déjà prévus pour d’autres projets dans la région, en changeant seulement de rubrique et d’ appellation.

  1. C’est pourquoi nous soutenons et appuyons la décision du Comité Ministériel de Suivi demandant aux négociateurs de l’Afrique de l’Ouest de :

·         « s’assurer de la cohérence entre les appuis identifiés par la Commission européenne et les besoins contenus dans les plans opérationnels du PAPED, ainsi que de l’additionnalité des ressources à mobiliser pour la mise en œuvre effective du programme » ;

·         « obtenir de la partie européenne, en réponse à la proposition de budget faite par la région, la présentation d’un tableau clair et détaillé du financement du PAPED indiquant, entre autres, les ressources retenues, les sources de financement, un plan de décaissements annuels ainsi que la nature des fonds (dons, prêts, flux non concessionnels etc.) »








Sur la clause NPF, la clause de non exécution et les prélèvements communautaires,

  1. Nous appelons en outre les autorités politiques de la région et les négociateurs à rester fermes sur leurs positions actuelles relativement à la clause de non exécution et aux prélèvements communautaires destinées à financer le fonctionnement des institutions d’intégration régionale. Les citoyens de l’Afrique de l’Ouest ne comprendraient pas en effet que les populations subissent les contrecoups de sanctions économiques pour des fautes politiques présumées commises par leurs dirigeants, pas plus qu’ils n’accepteraient de voir leurs institutions régionales tomber dans l’incapacité d’assumer leurs missions du fait de difficultés financières engendrées par la suppression des droits de douane.

  1.  Conscients des enjeux économiques et commerciaux qui gouvernent le monde d’aujourd’hui et de demain, et tenant compte des opportunités que l’Afrique de l’Ouest pourraient tirer de la diversification de ses partenaires commerciaux, nous demandons aux négociateurs de l’Afrique de l’Ouest de maintenir leur position actuelle sur la Clause NPF, consistant à limiter celle-ci explicitement aux pays développés (PD) et d’exclure toute possibilité de sélection, y compris au cas par cas, dès l’instant qu’un pays en développement (PED) est impliqué.

  1. Les peuples de l’Afrique de l’Ouest ont fait le choix de l’intégration et du développement. Se fondant sur leur histoire commune, leurs valeurs partagées, leurs relations séculaires et les immenses ressources matérielles et spirituelles dont ils disposent, ces peuples sont aujourd’hui déterminés à tourner toutes les pages sombres du passé marquées par la domination politique, la dépendance et l’exploitation économique, souvent enrobées dans des politiques soi-disant de coopération, d’aide ou de préférences non réciproques.  La voie du salut se trouve dans l’intégration régionale effective, la paix, la bonne gouvernance des ressources de la région, l’éthique de la responsabilité et l’intégrité des leaders ainsi que dans l’engagement et la participation de citoyens conscients, responsables et déterminés à l’élaboration des politiques publiques.

  1. Nous encourageons la Commission de la CEDEAO à accélérer la cadence dans l’élaboration des politiques communes régionales pour que dans un futur proche CEDEAO et UEMOA ne soient qu’une seule entité régionale forte et progressiste. L’APE n’est pas une fin en soi. C’est un moyen destiné à renforcer le commerce et ouvrir, peut-être, des opportunités avec un partenaire parmi d’autres.

  1. Il ne peut avoir d’effets positifs si nous ne bâtissons pas, au préalable, les politiques sectorielles régionales cohérentes dans les domaines du commerce, y compris du commerce des services, de l’agriculture, de l’industrie, de la recherche, des normes, de l’investissement, entre autres. Ces politiques doivent être articulées et coordonnées à l’intérieur du Programme Communautaire de Développement (PCD) dont nous encourageons l’élaboration sur des bases largement inclusives tant au sein de la CEDEAO qu’au niveau de tous les autres acteurs publics et privés de la région.
 
  1. Un accord de libre-échange comme l’APE, avec un partenaire aussi puissant que l’Union européenne, ne peut être signé sans d’infinies précautions surtout dans un contexte où le monde traverse une crise multidimensionnelle dont les impacts sont encore loin de s’estomper. De surcroit, ce même partenaire européen, qui promet pourtant une aide financière pouvant compenser les pertes de recettes découlant de la suppression des droits de douane, surtout pour les PMA,  fait face à d’inextricables difficultés financières au point qu’il a dû recourir aux institutions de Bretton-Woods pour aider un de ses membres.

  1.  Nous sommes conscients des défis nouveaux auxquels notre région est confrontée du fait de la coexistence de quatre régimes commerciaux différents. Nous encourageons et soutenons les autorités de la région à rechercher une solution politique et économique appropriée pour résoudre une telle équation et préserver l’unité et la solidarité de l’Afrique de l’Ouest.
 
  1. Dans l’hypothèse où un accord régional ne serait pas trouvé, pour quelque raison que ce soit, les plateformes de la société civile ouest africaines demandent instamment aux Autorités politique de la région d’apporter tout le soutien nécessaire à la Côte d’Ivoire et au Ghana pour éviter qu’ils ne soient placés dans l’obligation de mettre en œuvre leurs APE individuels, ou d’envisager des instruments économiques susceptibles de compenser temporairement les pertes auxquels ils feraient face sur le marché européens, en attendant qu’ils s’ajustent eux-mêmes pour trouver des moyens d’amélioration de leur compétitivité.

 Motion de soutien à la Plateforme des organisations de la société civile de l’Afrique de l’Ouest sur l’Accord de Cotonou (POSCAO-AC)

  1. Nous, plateformes régionales réunies à Bamako (ROPPA ; FOSCAO; OSCAF ; REPAOC ; COASSAD ; RJEAO), félicitons la POSCAO-AC, représentante de la société civile régionale au Comité régional de négociation de l’APE, pour la qualité de sa participation et ses contributions techniques. Nous l’encourageons à persévérer dans cette voie et demandons à la Commission de la CEDEAO de tout mettre en œuvre pour faciliter la participation du représentant de la société civile, conformément aux Directives des Ministres.

Fait à Bamako le 9 Mai 2010.

Les Signataires :

Pour les plateformes régionales :

1.      POSCAO-AC
2.      FOSCAO
3.      REPAOC
4.      ROPPA
5.      RJEAO
6.      OSCAF
7.      COASSAD

Pour les organisations et plateformes nationales
PASCIB (Bénin) ; GARED (Togo), SPONG (Burkina Faso), OSCAF-CI (Côte d’Ivoire); ENDA (Sénégal); TANGO (Gambie); CECIDE (Guinée); CNP-ANE (Mali) ;  TWNAFRICA (Ghana) ; NANTS (Nigeria) ;  RODADDH (Niger) MOSC (Guinée Bissau)

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